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Souvenirs : « Le lait des abadiens »

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Rappelons que cette rubrique vise à conserver le souvenir du mode de vie des Abadiens dans les années 1950. Le présent article est consacré à l’une des productions de base de nos ancêtres agriculteurs.

Un nombre permet de mesurer l’importance du lait pour les Abadiens : en 1945, on décomptait 90 vaches sur notre colline, dont la population ne dépassait pas à cette époque les 500 personnes.

On peut donc estimer qu’une bonne moitié des foyers possédait une vache. Si l’on y ajoute les chèvres, très nombreuses également, on peut en déduire que la plupart des familles produisait leur lait. Aujourd’hui cet aliment est parfois décrié, voire même déconseillé par les milieux médicaux. Il y a 70 ans, la consommation de lait ne faisait pas débat : la quasi-totalité des Abadiens en buvait quotidiennement au petit-déjeuner, et les enfants s’en régalaient aussi au goûter.

Par contre, sauf exceptions, nos paysans ne produisaient ni fromage, ni beurre, ni yaourt.

Un élevage astreignant

En général, il n’y avait qu’une vache par étable. Pourtant l’entretien de cet animal placide n’était pas une sinécure.

Les tâches, toutes effectuées à la main, étaient multiples : la traite matin et soir, de même que l’abreuvage, avec des seaux d’eau que l’on devait aller puiser au bassin le plus proche, ou dans le puits, plus rarement à la source.

Il fallait bien sûr nourrir la bête, avec du fourrage ou de l’herbe fraiche que l’on devait amener à l’étable, car le relief très pentu de nos collines ne permettait pas la pâture en extérieur.

Chaque jour il était nécessaire de retirer le fumier, d’empailler le sol, et de nettoyer la vache.

Les chèvres exigeaient moins de travail, notamment parce qu’elles se nourrissaient en partie toutes seules en extérieur, avec l’herbe des talus, les broussailles et les arbustes dans la garrigue ou les pinèdes. Un inconvénient toutefois : on devait les surveiller, pour éviter qu’elle ne causent des dégâts aux cultures.

Un apport économique

La production domestique de lait n’avait pas qu’un intérêt nutritif pour les familles. Elle leur apportait aussi un complément de revenu, non négligeable pour des petits exploitants pratiquant une agriculture d’autosubsistance.

En effet le rendement d’une vache est d’au moins 10 à 15 litres par jour, bien supérieur aux besoins du foyer. Le surplus était vendu soit à des voisins, soit surtout aux laitiers du village.

Faute d’éléments d’archives, il est difficile de mesurer la part du lait dans les ressources des ménages. Elle était sans doute peu élevée, mais elle assurait une rentrée d’argent régulière et appréciable pour des agriculteurs qui consommaient en famille l’essentiel de leur production de fruits et légumes, dont ils ne vendaient donc qu’une petite partie.

Des laitiers modestes

Comparée aux exploitations modernes, la tailledes cheptels des aitiers de l’Abadie était plus que modeste : entre trois et cinq vaches.

Mais le métier n’en était pas moins difficile. La journée commençait très tôt le matin, par la traite et l’entretien des animaux, ensuite on attelait le cheval à la charrette, puis on chargeait les bidons de lait contenant la traite du matin et celle de la veille au soir que, faute de frigo, l’on conservait au frais dans un bassin ou au fond du puits.

La livraison aux clients se faisait de porte à porte, tous les jours et par tous les temps, le cheval, habitué aux haltes successives, s’arrêtait de lui-même devant leur domicile. La tournée commençait par la route de l’Abadie, pour les habitants ne produisant pas leur lait, mais l’essentiel de la clientèle résidait sur la commune de Nice.

Dès lors la tournée aller-retour durait une bonne demie-journée, au rythme du cheval, au pas ou au trot.

De retour à la ferme, en début d’après-midi, le laitier devait s’adonner, avec l’aide de son épouse, à diverses tâches : ramassage et transport du fourrage, cultures maraichères pour sa famille, nourriture et traite des bestiaux, etc.

Après la traite vespérale, quelques habitants proches de la ferme des deux laitiers professionnels, situés au quartier de l’Église, venaient y acheter leur lait, tout chaud sorti du pis de la vache ; c’était un petit moment de convivialité quotidienne, avant le dîner.

Depuis des décennies, il n’y a plus de laitiers à l’Abadie, (le dernier a pris sa retraite en 1973) ni production de lait domestique. Aujourd’hui le lait est pasteurisé, il n’est plus nécessaire de le faire bouillir, mais il n’a plus le même goût : un plaisir que les nouvelles générations ne connaitront jamais. C’est le prix à payer pour la commodité et l’hygiène alimentaire.

D.Saretta