De nombreux aspects de la société abadienne de l’après 2ème guerre mondiale ont déjà été abordés dans cette chronique initiée il y a deux ans. Le lecteur n’ayant pas connu cette époque pourrait s’étonner a priori qu’un chapitre soit consacré au commerce. Et pourtant…
Aujourd’hui l’activité commerciale sur notre colline est quasiment inexistante. Ce n’était pas le cas dans les années 1950.
Des commerces permanents
Dans l’entre deux-guerres, divers commerces s’étaient crées : bars, restaurants, épiceries, laiteries.
Après la Libération, les épiceries avaient disparu. Par contre deux bars-restaurants subsistaient :
– l’établissement BOLLIE, situé place Marcel Dalbera (les anciens appelaient cette aire « Su l’iera »). M Bollie et son épouse, une Suissesse, avaient eu onze enfants. Après la disparition de leurs parents, trois des sœurs, célibataires, continuèrent à exploiter ce commerce, qui avait fait aussi office de dancing le dimanche après-midi jusque dans les années 1940.
Le bar était ouvert au quotidien, mais le restaurant ne fonctionnait que le dimanche : clientèle courante, noces et banquets. Les jours de concours, les boulistes jouant sur la place venaient tous boire et parfois déjeuner chez les Bollie. Cet établissement cessa son activité vers 1970.
– le bar-tabac-restaurant VERAN-CONTINI, dénommé Auberge des Amis, place Lieutenant Henri Chemin, face à l’église. C’était à l’époque le commerce le plus fréquenté du village. L’activité tabac attirait une clientèle presque captive, et nombreuse car la plupart des hommes fumaient : cigarettes, tabac « à rouler », et tabac pour pipe.
Les clients en profitaient pour boire du vin, rouge ou blanc, ou un apéritif (surtout le dimanche). Le week-end le restaurant proposait de la cuisine niçoise. Des citadins montaient pour déguster les raviolis (li raïola) préparés par Jeanne, l’épouse de l’exploitant « Bertou » Contini, assistée par sa sœur Louise.
L’Auberge accueillait, depuis les années 1930, le siège du club bouliste, ce qui lui assurait une clientèle fidèle à longueur d’année. Les propriétaires possédaient trois jeux de boule lyonnaise à proximité, ces terrains étaient utilisés tous les dimanches et jours fériés par les sociétaires du club, qui buvaient du vin rouge entre chaque partie, er revenaient au bar prendre l’apéro en fin d’après-midi. Le banquet annuel du club était servi par l’Auberge, et toutes les assemblées générales s’y déroulaient.
La famille Contini céda son commerce dans les années 1980 à des repreneurs successifs, puis vendit l’immeuble à la commune de Saint-André.
– Les laiteries :
Le nombre des agriculteurs possédant des vaches, très élevé à la Libération (on comptait alors 90 vaches à l’Abadie), baissa très rapidement, et dans les années 50, il ne restait plus que deux laitiers « plein temps », tous deux situés au quartier de l’Église : la laiterie de la famille Gioan, et celle des Veran. Toutefois quelques paysans avaient conservé leur vache ; ils apportaient leur surplus de traite à l’un ou l’autre des deux laitiers. Ces derniers livraient l’essentiel de leur production à Nice, mais chaque jour (rappelons qu’il n’y avait pas de frigo en ce temps-là) une petite clientèle de voisinage venait acheter leur lait, avec bidon ou simple bouteille. C’était l’occasion de « faire une blaguette » entre habitants des alentours.
L’un des deux laitiers, Vincent Gioan, prit sa retraite au milieu des années 60, le second Pierre Veran, dans le courant des années 70.
Des commerçants ambulants
En l’absence d’épicerie et faute de voiture, les Abadiens étaient dans la difficulté pour faire leurs achats alimentaires. Leurs besoins en fruits et légumes étaient certes satisfaits par leur propre production agricole, mais le problème se posait pour les autres denrées : le pain, la viande, les pâtes, le sel, le sucre, etc.
Des commerçants de la vallée du Paillon avaient perçu que la population de la colline pouvait représenter un complément de clientèle.
C’est ainsi qu’un épicier de Drap, M. Guidicelli, montait 3 jours par semaine, les lundis, mercredis et samedis avec son fourgon Citroën, et sillonnait toute la colline jusqu’au Saut de Millo. Il klaxonnait pour signaler son arrivée aux clientes de chaque hameau (les hommes étaient aux champs). Les achats étaient limités au strict nécessaire en raison de la pauvreté des habitants ; parfois les mamans faisaient un « extra » : chocolats, bonbons ou sucettes pour leurs enfants.
Pour la viande, un boucher de l’Ariane, M.Massa, faisait la même tournée les mardis et vendredis, avec sa fourgonnette Juva4. Les familles pouvaient ainsi consommer de la viande deux fois par semaine. Ironie de l’histoire : actuellement une fréquence de consommation aussi basse serait appréciée pour des raisons écologiques.
Le commerce agricole
Rappelons qu’en ce temps-là la très grande majorité des Abadiens étaient des agriculteurs, dont une bonne partie des récoltes étaient destinée à la nourriture du foyer. Pour faire face aux autres dépenses du ménage, il fallait donc vendre le surplus de production de fruits, légumes et huile.
L’essentiel de ces ventes se réalisait au grand marché de Nice, où nos ancêtres se rendaient plusieurs fois par semaine. Ils écoulaient aisément leurs produits, car ils étaient de qualité et naturels, « bios » dirait-on présentement, car cultivés sans produits chimiques. L’huile de l’Abadie avait la réputation d’être l’une des meilleures de la région.
Une petite partie de la récolte était vendue sur la colline, soit aux habitants non agriculteurs, soit aux estivants qui séjournaient en vacances dans des résidences secondaires ou des logements inoccupés (le airbnb avant l’heure). Le troc entre voisins se pratiquait encore marginalement.
De nos jours, à part un camion pizza, il n’y a plus de commerces ni ambulants, ni agriculteurs professionnels. Il subsiste cependant une petite activité économique, surtout dans le bâtiment, et quelques professions libérales.
D.Saretta