Un peu d’histoire : les pierres de l’abadie

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On connait bien les carrières de Saint-André, qui produisent depuis plus d’un siècle les meilleures pierres de la région. La pierre de l’Abadie n’a pas acquis la même réputation mais elle a joué un rôle important dans l’histoire de notre village, et même au delà.

Dans l’antiquité

On ne sait exactement à quand remonte l’utilisation de la pierre sur nos collines. La réalisation la plus spectaculaire est « la pyramide du Merindol ».

Vue ancienne de la pyramide de Merindol

Située au confluent du Paillon et de la Banquière, sur la première collinette de la montée de l’Abadie, elle demeure un mystère : qui l’a construite, et quand ? Selon certains elle aurait été érigée avant les invasions romaines, il y a plus de 2000 ans.

On retrouve des pyramides de ce type au Proche Orient, datées de trois ou quatre mille ans, et dans d’autres régions d’Europe. Ce que l’on sait, c’est que le nom de Merindol lui a été donné il y a un millier d’années par le seigneur Rostaing, vicomte de Nice qui fit donation du territoire saint-andréen et abadien à l’abbaye de St Pons en 999. Il se prénommait Miron et son épouse Odile, d’où le nom de « merindol ».

Cette pyramide remarquable fut hélas détruite lors de la réalisation de l’autoroute A8. Elle avait précédemment subi, dans les années 1950, des prélèvements de pierres par une entreprise locale qui l’avait achetée pour la construction d’immeubles ; cela rappelle la destruction partielle du trophée d’Auguste, à la Turbie, dont les blocs récupérés servirent à l’édification de nombreuses maisons de ce village.

Par ailleurs on sait aussi que notre colline était traversée par une voie édifiée par les Romains ; ce type de chemin était habituellement dallé. On peut donc en déduire que les pierres ont été utilisées à une grande échelle, sans pouvoir cependant connaitre leur lieu d’extraction.

La pierre de Clemens

C’est un des rares vestiges de cette période ; elle fut découverte avec des ossements en 1905, par un paysan qui défonçait un champ de vignes à la Colle de Revel. Cette pierre de 43 cm sur 60 cm, et 16 cm d’épaisseur comporte une inscription gallo-romaine gravée en lettres de 2,5 à 3,5 cm de haut ; elle est datée de l’époque de l’empereur Auguste (63 av J.C – 14 après J.C).

Il s’agit d’une épitaphe dédiée par une mère et ses trois filles à leurs mari, fils, père et frères. Le nom de cette famille, Clemens, après avoir été donné à leur domaine, se serait conservé au fil des siècles, si bien que le hameau des Clémensans en a hérité.*

* d’autres hameaux de l’Abadie portent le nom des anciens propriétaires de leur site : les Ardoins, le saut de Millo, les Bonnet (détruit il y a une soixantaine d’années lors de l’extension du cimetière de l’Est).

Au Moyen-Âge

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Pan de mur le plus visible de l’ancien château de Revel

De cette longue période il reste quelques traces, situées à la Colle de Revel. Tout d’abord les ruines du château de Revel, en fait des pans de mur de cette forteresse édifiée au début du 2ème millénaire, comme plusieurs autres telles celles de Tourrette, Aspremont et Nice.

Comme souvent le château de Revel, du nom de la famille possédante, a été érigé sur une hauteur entourée de versants abrupts ou très pentus ; de faible largeur, mais long de plusieurs dizaines de mètres, ce fort hébergeait des hommes de troupe, peu nombreux selon les historiens. Il semblerait cependant, d’après certains vestiges, qu’une population habitait à proximité immédiate dans de petites cabanes.

On trouve sous la crête, versant ouest, un abreuvoir creusé dans la roche, et une pierre ronde, en forme de meule.

Le château de Revel fut détruit au 13ème siècle par le seigneur Laugier lors d’un conflit armé. En aval de ce promontoire, côté est, subsistent deux bâtisses en ruines, en bordure de l’ancienne route du sel, désignées « Maison des Barbets ». Les Abadiens dénomment ce site « le château des voleurs ». Était-il un repaire de brigands, détrousseurs de voyageurs ? Le mystère demeure.

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Vestiges du Relais du Château

Une autre question : quand les premières restanques ont-elles été aménagées à l’Abadie ? On sait que les murs en pierre sèche ont profondément impacté nos paysages : cette technique pour la retenue des terres remonte t’elle au Moyen Âge pour nos collines ? Parmi les biens possédés alors par l’abbaye de St Pons, on relève la présence de vignes. Qui dit vigne en colline dit restanque. Y avait-il déjà des vignobles à l’Abadie dès cette époque ? On ne peut l’affirmer.

Du 16ème au 19ème siècle

Ce qui est certain, c’est que nos terres étaient cultivées au 16ème siècle. Les archives nous indiquent que les moines de St Pons ont loué une partie de leur domaine de l’Abadie à des agriculteurs, qui s’y sont fixés et ont fait souche.

Avec des pierres du pays ils construisirent des maisons groupées en hameaux, qui se multiplièrent dès le 17ème siècle dans divers secteurs de notre terroir, jusque sur les contreforts de l’Ubac, tel le Saut de Millo, ou du Mont Macaron (Bordinas).

Il fallait beaucoup de roches pour construire toutes ces maisons, ainsi que leurs dépendances : écuries, étables, granges, fours, puits. La pierre servait aussi à soutenir les galeries des sources, à créer des bassins, et surtout à monter les innombrables murs des restanques nécessaires aux cultures potagères et fruitières, sans oublier les marches des sentiers. On peut imaginer les efforts physiques considérables qu’ont dû déployer nos ancêtres pour extraire ces roches (sans explosif), les tailler, les transporter (sans véhicules ni routes). Ils extrayaient ces matériaux au plus près, souvent sur leurs terres. Au fil des siècles ils ont façonné le visage de nos collines, sans ingénieurs ni architectes et sans carriers professionnels.

Au 20ème siècle

À l’orée du siècle dernier, l’exploitation de la pierre prit une nouvelle tournure : elle devint essentiellement industrielle, sous la forme de carrières professionnelles.

Plusieurs Abadiens se lancèrent dans cette activité tels les familles Bailet et Veran, et ouvrirent des carrières sur les collines de la Perdiguière et de l’Ubac. Les roches extraites étaient majoritairement destinées à la construction des immeubles à Nice, dont la population croissait fortement depuis la 2ème moitié du 19ème siècle, sous le double effet de l’immigration transalpine et du développement du tourisme. L’extraction se faisait désormais à l’aide d’explosifs ; le forage s’effectuait à la main, avec des barres à mine, jusque dans l’entre deux guerres.

carrières
Les délaissés d’une carrière de l’Ubac.

Par la suite les carrières utilisèrent des perforateurs à essence. Les livraisons se faisaient avec des tombereaux, jusque dans les années 1950.

À cette date seules deux carrières étaient encore actives ; elles fournirent notamment en grande quantité, les pierres nécessaires à l’extension du cimetière de l’Est.

La roche abadienne n’a pas la même notoriété que celle de St André ; mais elle présente des caractéristiques intéressantes, notamment la couleur qu’elle prend en vieillissant, cette patine particulière toujours visible sur les façades de certaines maisons de nos hameaux.

Depuis une cinquantaine d’années, l’extraction industrielle de la roche a cessé sur les hauteurs de l’Abadie ; par contre elle continue pour quelques années encore sur les flancs nord-ouest, en contrebas du hameau de la Colle et du Col de Revel.

Quoi qu’il soit les pierres de nos maisons anciennes et de nos restanques demeureront encore longtemps les témoins de l’histoire de notre village.

D.S

Sources :

– le réseau castral du pays de Nice (Xe –  XIIIe siècle) par Jean-Claude Poteur

– Châteaux-forts d’Europe (N°11 et 18)

– Les châteaux de Moyen Âge en Pays d’Azur d’Edmond Rossi (Alandis Editions)

– Histoire cachée de la grande pyramide de Nice par Jonathan Exoportail